La création d’une SASU avec des apports en nature soulève immédiatement la question de l’évaluation de ces biens. Cette problématique juridique et financière nécessite une expertise particulière pour garantir la protection des associés et des tiers. Le commissaire aux apports intervient comme un tiers expert indépendant chargé d’évaluer la valeur réelle des biens apportés au capital social. Cette intervention constitue un gage de sécurité juridique pour l’ensemble des parties prenantes de la société.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 en avril 2017, le cadre réglementaire applicable aux SASU a été harmonisé avec celui des SARL. Cette évolution législative a introduit des seuils de dispense qui permettent, sous certaines conditions strictes, de se passer de la nomination obligatoire d’un commissaire aux apports. Ces modifications ont considérablement simplifié les formalités de création tout en maintenant un niveau de protection adapté.

Définition légale du commissaire aux apports dans les SASU selon l’article L225-8 du code de commerce

L’article L225-8 du Code de commerce définit précisément le cadre d’intervention du commissaire aux apports dans les sociétés par actions simplifiées à associé unique. Ce professionnel doit obligatoirement être inscrit sur la liste officielle des commissaires aux comptes ou sur celle des experts judiciaires près la Cour d’appel. Son statut d’expert indépendant lui confère la légitimité nécessaire pour procéder à l’évaluation des apports en nature avec objectivité et rigueur.

La mission principale du commissaire aux apports consiste à vérifier l’existence, la propriété et la valeur des biens apportés au capital social. Il doit s’assurer que l’apporteur détient effectivement les droits de propriété sur les biens concernés et que leur valorisation correspond à leur valeur réelle au jour de l’apport. Cette expertise technique revêt une importance cruciale car elle détermine le nombre d’actions qui seront émises en contrepartie de l’apport.

Le commissaire aux apports assume une responsabilité civile et pénale sur l’exactitude de son évaluation. Cette responsabilité s’étend sur une période de cinq ans à compter de l’immatriculation de la société. En cas d’erreur d’évaluation préjudiciable aux tiers ou aux autres associés, sa responsabilité professionnelle peut être engagée. Cette dimension juridique explique pourquoi les commissaires aux apports appliquent des méthodes d’évaluation rigoureuses et documentées.

L’intervention du commissaire aux apports constitue une garantie fondamentale de la sincérité du capital social et de l’égalité entre associés dans les opérations de constitution ou d’augmentation de capital.

Seuils de déclenchement de l’obligation du commissaire aux apports en SASU

Depuis le décret n°2017-630 du 25 avril 2017, les SASU bénéficient des mêmes dispenses que les SARL concernant la nomination d’un commissaire aux apports. Cette harmonisation législative a introduit deux seuils cumulatifs qui déterminent l’obligation ou la dispense de recourir à cet expert. Ces critères permettent d’adapter les contraintes réglementaires à la réalité économique des petites entreprises.

Valorisation des apports en nature supérieure à 30 000 euros

Le premier critère concerne la valeur individuelle de chaque apport en nature. Lorsqu’un bien apporté au capital dépasse la valeur de 30 000 euros, la désignation d’un commissaire aux apports devient obligatoire. Cette évaluation doit être effectuée à la valeur vénale du bien au jour de l’apport, en tenant compte de son état réel et de sa situation juridique. La valeur de 30 000 euros constitue un seuil absolu qui ne souffre aucune exception.

Cette règle s’applique à chaque apport pris individuellement, même si la société reçoit plusieurs biens distincts. Par exemple, si un associé apporte simultanément un véhicule d’une valeur de 25 000 euros et du matériel informatique d’une valeur de 15 000 euros, chaque apport étant inférieur à 30 000 euros pris isolément, ce premier critère ne déclenche pas l’obligation de nommer un commissaire aux apports.

Règle des 50% de la valeur totale du capital social

Le second critère examine la proportion des apports en nature par rapport au capital social total. Lorsque la valeur cumulée de l’ensemble des apports en nature excède la moitié du capital social, la nomination d’un commissaire aux apports devient obligatoire. Cette règle vise à éviter que des apports en nature non évalués représentent une part prépondérante du capital social.

Ce calcul doit intégrer tous les apports en nature réalisés lors de la constitution de la société. Si le capital social s’élève à 100 000 euros et que les apports en nature représentent 55 000 euros, l’obligation de désigner un commissaire aux apports s’impose même si chaque apport individuel reste inférieur à 30 000 euros. Cette approche globale garantit une évaluation professionnelle dès que les apports en nature deviennent significatifs.

Calcul des seuils pour les apports mixtes mobiliers et immobiliers

Lorsque la SASU reçoit des apports mixtes combinant biens mobiliers et immobiliers, le calcul des seuils nécessite une approche méthodique. Chaque catégorie d’apport doit être évaluée séparément avant d’être agrégée pour déterminer si les seuils de dispense sont respectés. Cette distinction s’avère particulièrement importante car les méthodes d’évaluation diffèrent significativement entre ces deux types de biens.

Pour les biens immobiliers, l’évaluation doit tenir compte de la valeur vénale actuelle, des servitudes éventuelles et de l’état général du bien. Pour les biens mobiliers, l’approche privilégie la valeur de remplacement diminuée de la dépréciation constatée. Cette différenciation méthodologique justifie souvent le recours à un commissaire aux apports même en deçà des seuils légaux.

Cas particuliers des apports en usufruit et nue-propriété

Les apports de droits démembrés soulèvent des questions d’évaluation spécifiques qui méritent une attention particulière. L’usufruit et la nue-propriété doivent être évalués selon des barèmes fiscaux officiels qui tiennent compte de l’âge de l’usufruitier et des taux d’intérêt légaux en vigueur. Cette technicité particulière rend souvent indispensable l’intervention d’un commissaire aux apports même pour des valeurs théoriquement inférieures aux seuils.

La complexité de ces évaluations réside dans la nécessité de reconstituer la valeur en pleine propriété avant d’appliquer les coefficients de démembrement. Cette approche garantit une valorisation cohérente et juridiquement solide des droits apportés au capital de la SASU.

Procédure de désignation du commissaire aux apports par ordonnance du président du tribunal de commerce

La désignation du commissaire aux apports suit une procédure réglementée qui varie selon le contexte de création de la SASU. Lorsque l’associé unique doit nommer un commissaire aux apports, il peut soit le choisir librement sur les listes officielles, soit solliciter une désignation judiciaire auprès du tribunal de commerce compétent. Cette seconde option s’avère particulièrement utile pour garantir l’indépendance totale de l’expert désigné.

Requête unilatérale et pièces justificatives obligatoires

La requête en désignation d’un commissaire aux apports doit être déposée au greffe du tribunal de commerce du siège social de la SASU en formation. Cette procédure unilatérale nécessite la production de pièces justificatives précises : projet de statuts, description détaillée des biens à évaluer, justificatifs de propriété et estimation provisoire de leur valeur. La qualité du dossier conditionne la rapidité de traitement de la demande.

Le requérant peut suggérer le nom d’un commissaire aux apports spécialisé dans le type de biens à évaluer. Cette faculté permet d’orienter la désignation vers un expert possédant l’expertise technique adaptée à la nature des apports. Toutefois, le président du tribunal conserve sa liberté d’appréciation et peut désigner un autre professionnel s’il l’estime plus approprié.

Délais légaux entre la désignation et le dépôt du rapport d’évaluation

Une fois désigné, le commissaire aux apports dispose d’un délai raisonnable pour accomplir sa mission d’évaluation. Ce délai varie généralement entre quatre et huit semaines selon la complexité des biens à expertiser. Le commissaire doit remettre son rapport d’évaluation avant la signature définitive des statuts de la SASU. Cette chronologie garantit que la valeur des apports soit définitivement arrêtée avant l’immatriculation de la société.

Le rapport du commissaire aux apports doit être annexé aux statuts constitutifs et déposé au registre du commerce et des sociétés lors de l’immatriculation. Cette formalité assure la publicité de l’évaluation auprès des tiers et constitue une garantie de transparence sur la composition réelle du capital social.

Coût de la procédure et honoraires du commissaire aux apports

Les honoraires du commissaire aux apports varient considérablement selon la nature et la complexité des biens à évaluer. Pour des apports simples comme des véhicules ou du matériel informatique, les honoraires oscillent généralement entre 800 et 1 500 euros. Pour des apports plus complexes comme des fonds de commerce ou des biens immobiliers, la fourchette s’établit entre 2 000 et 5 000 euros. Cette investissement initial constitue un gage de sécurité juridique et de crédibilité pour la SASU.

Les frais de requête auprès du tribunal de commerce représentent un coût marginal d’environ 50 à 100 euros selon les juridictions. Ces frais de greffe couvrent les formalités administratives liées à la désignation judiciaire du commissaire aux apports. Cette procédure judiciaire présente l’avantage de garantir l’indépendance totale de l’expert désigné.

Type d’apport Fourchette d’honoraires Délai moyen
Véhicules et matériels 800 – 1 500 € 2-3 semaines
Fonds de commerce 2 000 – 4 000 € 4-6 semaines
Biens immobiliers 1 500 – 3 500 € 3-5 semaines
Brevets et marques 2 500 – 5 000 € 5-8 semaines

Typologie des apports soumis à l’évaluation obligatoire du commissaire aux apports

La diversité des apports en nature susceptibles de constituer le capital d’une SASU nécessite une approche méthodologique adaptée à chaque catégorie de biens. Cette classification permet de comprendre les enjeux spécifiques d’évaluation et les risques juridiques associés à chaque type d’apport. La nature du bien conditionne largement la méthode d’évaluation et la complexité de la mission du commissaire aux apports.

Apports de fonds de commerce et évaluation des éléments incorporels

L’apport d’un fonds de commerce constitue l’une des opérations les plus complexes en matière d’évaluation d’apports en nature. Le commissaire aux apports doit procéder à une analyse approfondie de chaque élément constitutif : clientèle, achalandage, nom commercial, enseigne, mobilier commercial et stocks. Cette décomposition analytique permet d’identifier précisément les éléments incorporels qui représentent souvent la valeur principale du fonds.

L’évaluation de la clientèle s’appuie généralement sur des méthodes de capitalisation des bénéfices ou de multiple du chiffre d’affaires. Le commissaire aux apports doit analyser les comptes d’exploitation sur plusieurs exercices pour déterminer la rentabilité récurrente du fonds. Cette approche technique nécessite une expertise comptable et financière approfondie pour aboutir à une valorisation fiable et défendable.

Apports immobiliers et expertise de la valeur vénale

Les apports de biens immobiliers requièrent une expertise spécialisée qui combine analyse juridique et évaluation technique. Le commissaire aux apports doit vérifier la situation juridique du bien, l’absence d’hypothèques ou de servitudes cachées, et procéder à une évaluation de la valeur vénale par comparaison avec les transactions récentes sur le marché local. Cette double approche juridique et économique garantit une évaluation complète et sécurisée.

L’expertise immobilière intègre également l’analyse de l’état général du bien, des travaux de mise aux normes éventuellement nécessaires et de la situation locative le cas échéant. Ces éléments techniques influencent directement la valeur vénale et doivent être pris en compte dans l’évaluation finale. Le commissaire aux apports peut s’adjoindre les services d’un expert immobilier spécialisé pour les biens présentant des caractéristiques techniques particulières.

Apports de créances clients et provisions pour dépréciation

L’apport de créances clients nécessite une analyse approfondie de leur recouvrabilité et de leur ancienneté. Le commissaire aux apports doit examiner la situation financière des débiteurs principaux et évaluer le risque d’impayés. Cette analyse conduit généralement à la constitution de provisions pour dépréciation qui réduisent la valeur nette des créances apportées au capital social.

La méthodologie d’évaluation des créances s’appuie sur une analyse statistique des taux de recouvrement historiques et sur une approche individuelle pour les

créances importantes. Cette approche combinée permet d’établir une valorisation réaliste qui tient compte des risques inhérents au recouvrement des créances.

Le commissaire aux apports doit également vérifier l’authenticité des créances et l’existence des contrats ou factures sous-jacents. Cette vérification documentaire constitue un préalable indispensable à toute évaluation fiable. La traçabilité des créances conditionne leur acceptabilité comme apport en nature et leur valorisation dans le capital social de la SASU.

Apports de brevets, marques et droits de propriété intellectuelle

L’évaluation des droits de propriété intellectuelle représente l’un des défis les plus complexes pour le commissaire aux apports. Ces actifs incorporels nécessitent une expertise spécialisée qui combine analyse juridique, technique et financière. Le commissaire doit vérifier la validité des titres, leur étendue géographique et temporelle, ainsi que leur potentiel d’exploitation commerciale.

La valorisation des brevets s’appuie généralement sur des méthodes de flux de trésorerie actualisés qui projettent les revenus futurs générés par l’exploitation du brevet. Cette approche prospective intègre les risques technologiques, concurrentiels et réglementaires qui peuvent affecter la valeur du brevet. Le commissaire aux apports peut s’entourer d’experts techniques pour évaluer la pertinence et l’innovation des technologies brevetées.

Pour les marques commerciales, l’évaluation repose sur l’analyse de leur notoriété, de leur positionnement concurrentiel et de leur capacité à générer des revenus différentiels. Cette valorisation nécessite une connaissance approfondie du marché concerné et des méthodes d’évaluation spécifiques aux actifs de marque. L’expertise sectorielle devient alors déterminante pour aboutir à une évaluation crédible et défendable.

Sanctions juridiques en cas de non-respect de l’obligation du commissaire aux apports

Le non-respect de l’obligation de nommer un commissaire aux apports expose les dirigeants et associés de la SASU à des sanctions pénales particulièrement sévères. L’article L242-6 du Code de commerce prévoit une peine d’emprisonnement de deux ans et une amende de 30 000 euros pour défaut de nomination d’un commissaire aux apports lorsque cette désignation est légalement obligatoire.

Ces sanctions pénales visent à garantir le respect des règles de protection des associés et des tiers. La responsabilité pénale peut être engagée à l’encontre du président de la SASU qui aurait volontairement omis de procéder à la nomination obligatoire d’un commissaire aux apports. Cette responsabilité personnelle constitue un risque majeur qui justifie une analyse juridique rigoureuse des seuils de déclenchement.

En complément des sanctions pénales, les associés et dirigeants s’exposent à une responsabilité civile en cas de surévaluation des apports en nature. L’article L225-8 du Code de commerce institue une responsabilité solidaire d’une durée de cinq ans pour la valeur attribuée aux apports non évalués par un commissaire aux apports. Cette responsabilité peut être invoquée par les créanciers sociaux en cas d’insuffisance d’actif.

La surévaluation frauduleuse des apports constitue par ailleurs un délit spécifique puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende selon l’article L242-6 du Code de commerce. Cette infraction caractérise les cas où les apporteurs ont volontairement majoré la valeur de leurs apports pour obtenir une part de capital supérieure à leur apport réel. La dimension frauduleuse de cette infraction nécessite la démonstration d’une intention délibérée de tromper les autres associés ou les tiers.

Les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations relatives au commissaire aux apports reflètent l’importance accordée par le législateur à la sincérité du capital social et à la protection des tiers.

Dérogations et dispenses légales du recours au commissaire aux apports en SASU

Outre les seuils généraux de dispense applicables depuis la loi Sapin 2, le droit des sociétés prévoit des dérogations spécifiques qui permettent de s’affranchir de l’obligation de nommer un commissaire aux apports dans certaines situations particulières. Ces dérogations visent à simplifier les formalités de création tout en maintenant un niveau de protection approprié.

La principale dérogation concerne les entrepreneurs individuels qui transforment leur activité en SASU en apportant les éléments de leur dernier bilan. Cette simplification, prévue à l’article L225-147 du Code de commerce, dispense de commissaire aux apports lorsque l’apporteur justifie de l’évaluation des biens par leur inscription au bilan de l’entreprise individuelle. Cette dérogation facilite considérablement les opérations de transformation d’entreprise.

Une seconde dérogation s’applique aux apports réalisés entre sociétés liées lorsque l’apporteur détient la majorité du capital de la société bénéficiaire. Cette situation, bien que rare en SASU compte tenu de la structure unipersonnelle, peut se rencontrer lors d’opérations de restructuration complexes. La dispense se justifie par l’absence de conflit d’intérêts entre l’apporteur et la société bénéficiaire.

Les apports de titres cotés en bourse bénéficient également d’un régime dérogatoire lorsque leur valeur peut être déterminée par référence au cours de bourse des trois mois précédant l’apport. Cette dérogation repose sur la fiabilité présumée de l’évaluation par le marché financier. La liquidité des titres constitue alors un gage de transparence qui justifie la dispense d’expertise indépendante.

Enfin, certaines opérations de fusion ou de scission peuvent bénéficier de dispenses spécifiques lorsque les sociétés concernées appartiennent au même groupe et que les apports ont fait l’objet d’une évaluation récente par un commissaire aux apports. Cette dérogation évite les doublons d’expertise tout en préservant la qualité de l’évaluation. La mise en œuvre de ces dérogations nécessite toutefois une analyse juridique approfondie pour s’assurer du respect de toutes les conditions légales.